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Aux Antilles, les espaces abritant les combats de coqs s’appellent des « pitts ». Le « pitt » désigne à la fois l’arène dans laquelle vont s’affronter les animaux et, plus généralement, l’espace dédié à cette activité. La présence féminine dans les pitts interpelle par sa singularité, voire son caractère paradoxal. Dans cet espace majoritairement fréquenté par des hommes, les femmes sont à la fois omniprésentes et singulièrement absentes de l’environnement des oiseaux combattants. Dans une activité extra-professionnelle issue de la tradition mais « travaillée » par la modernité (Tondellier, à paraître), on observe une régulation spatiale et symbolique de la place des hommes et des femmes.
Ce récit photographique est le fruit de la collaboration d’un sociologue et d’un photographe qui ont suivi en 2011-2012 deux saisons de combats de coqs dans différentes communes de la Martinique (French West Indies). Cet essai se centre plus spécifiquement sur la place occupée par les femmes dans une activité dite traditionnelle. Activité traditionnelle, loisir et/ou opportunité de « faire un peu d’argent », le combat de coq n’en reproduit pas moins une différenciation et une hiérarchisation genrée des tâches.
Mots clés : Martinique – Combat de coqs – Genre – Division des tâches – Tradition -
Le pitt est traversé par une division sexuelle des tâches assez frappante. Alors que les hommes s’occupent quasi-exclusivement du cœur des activités des coqueleurs (élevage, pose d’éperons, entraînement, soins), les femmes occupent systématiquement des activités annexes.
Saint-Pierre. Les « séances » débutent par la pesée des animaux. Ici les propriétaires surveillent le bon report sur le tableau (hors-champs) du poids des coqs. L’opération qui consiste à désigner les deux oiseaux amenés à se combattre est appelée « mariage ». Aujourd’hui, comme bien souvent, seuls des hommes apportent des animaux à la pesée. -
Cette division des tâches trouve un écho dans la répartition spatiale des hommes et des femmes. Ondina F. Leal (1994), qui a déjà souligné cette opposition centre/périphérie dans les combats de coq, définit l’arène comme un espace de dramatisation de l’identité masculine. Le masculin occupe ainsi le centre de l’activité, le féminin est relégué à sa périphérie.
Saint-Pierre. Deux propriétaires tiennent les oiseaux qui vont engager le combat. -
Les femmes sont, par contre, majoritaires à s’occuper des activités périphériques aux combats de coqs : billeterie, bar, vente de gâteaux et de « pistaches ». Elles peuvent éventuellement vendre les produits alimentaires et de soins à destination des propriétaires.
Saint-Pierre. Au centre de l’image, pendant un combat un propriétaire surveille la performance de son coq tout en prenant des paris. À l’arrière-plan, proche de l’entrée, la caissière essaie de distinguer le déroulement du combat. -
Si Aline connaît tous les coqueleurs du pitt, c’est parce qu’elle sert au bar où ils viennent se désaltérer.
Le Lamentin. Les femmes tiennent toujours les bars, servent les repas proposés aux coqueleurs. Ces activités se font généralement comme une activité à côté d’une activité professionnelle ou une fois la retraite atteinte. Tenir la billeterie d’une séance, par exemple, est rémunéré 50 euros. -
Si Mylène foule chaque semaine la moquette du « Club », c’est pour encaisser les billets d’entrée.
Le Lamentin. Généralement les droits d’entrée s’acquittent avant de prendre place sur les gradins. Mylène a sa propre technique. Quelques minutes avant le premier combat, elle fait le tour de l’arène et fait payer les propriétaires et amateurs. Personne ne lui échappe. -
Les activités de vente (boisson, nourriture), qui sont nombreuses autour du pitt, sont tenues par des femmes. Une exception, la vente des produits « dopants » et autre matériel spécialisé pour l’élevage et l’entraînement des animaux. Est-ce parce que cette activité est liée aux sphère scientifique et technique que les hommes l’occupent ?
Le Lamentin. Helena est une figure atypique au pitt dans la mesure où elle occupe une place plutôt masculine, celle de l’expertise dans les produits permettant d’améliorer les capacités des oiseaux. Ceci s’explique peut être par son histoire. Son mari décédé tenait ce stand, elle l’a remplacé.Au pitt, les femmes accueillent, servent, nourrissent. Jamais elles n’arbitrent un combat, jamais elles ne posent d’éperons. Exceptionnellement on en voit présenter un animal à la pesée ou le tenir lors de la pose des éperons.
Le Lamentin. Cette propriétaire « tient » son coq pendant la pose des éperons. Ce jour-là, mise à part la guichetière, elle sera la seule stationner dans le cœur de l’arène.Si on peut compter des femmes dans les gradins, elles y restent largement minoritaires au point que dans les pitts fréquentés par les touristes, les visiteuses sont plus nombreuses à assister aux combats de coqs que les antillaises.
Le François. Pendant un combat, cette propriétaire maintient sous son coude le sac de transport de son animal.L’absence des femmes sur les bancs des pitts s’explique sans aucun doute par plusieurs facteurs : alors qu’aux Antilles les femmes construisent leur identité dans l’espace domestique, les hommes construisent la leur à l’extérieur (André, 1985).
Saint-Pierre. Ici une touriste Canadienne fait du crochet pendant un combat. En arrière-plan : à gauche, le tableau de la pesée ; à droite celui des « mariages ».Par ailleurs, « faire battre les coqs » est une activité qui reste assez généralement négativement connotée. Alors que le propriétaire pourra obtenir le respect de ses pairs après un combat victorieux, la réciproque est moins vraie pour les femmes. Quelle réputation peut espérer tirer d’une femme de la fréquentation d’un espace majoritairement masculin où l’on s’invective, on parie bruyamment et l’on boit ?
Sainte-Marie, une amatrice assise dans le haut des gradins plaisante avec un coqueleur. Au premier plan, les coqs qui se rencontreront lors du prochain combat patientent dans une cage suspendue au-dessus de l’arène.Une dame, dont le père était propriétaire de pitt, est la seule de ses sœurs à élever des coqs. Elle résume : « Une sœur est enseignante, elle ne vient pas aux combats. Une autre est très dans la religion. Moi, j’ai toujours été plus libre. »
Le François. Les plaisanteries vont bon train pendant les combats. On se moque de l’animal, on se moque de l’adversaire, d’un amateur qui « en fait trop » ou l’on apprécie tout simplement un bon mot.Le pitt n’échappe pas à la socialisation différenciée entre hommes et femmes dans les sociétés caribéennes. Les hommes sont en quête de respect, les femmes protègent leur réputation (Wilson, 1969). Activités « à part » du pitt, réservées à sa périphérie : accueillir, nourrir, servir, ne sont pas des activités qui menacent de ternir l’image des femmes qui les pratiquent car celles qui s’y adonnent se cantonnent ici aux rôles féminins de la division sexuelle des tâches.
Ducos. En tant que parieuse, leur présence se fera toujours plus discrète que celle des hommes.Et les exceptions ? Sans doute les femmes les plus « libres » et celles dont la filiation légitime l’inscription dans l’activité. Leurs maris/conjoints sont des coqueleurs reconnus, leurs pères étaient coqueleurs ou propriétaires d’un pitt ; elles reprennent l’activité, peuvent posséder une petite écurie, organiser des séances.
Saint-Pierre. Elise ne participe pas souvent aux combats à Saint-Pierre. Généralement, elle accompagne son compagnon qui organise une « séance », s’occupe pour lui de la billeterie et du déjeuner. Aujourd’hui, elle présente elle-même un animal à la pesée. Elle vient faire « un coup » en présentant dans cette assemblée un vieux champion qui renversera son adversaire en quelques secondes.Espace masculin, rôles et pratiques réservés aux hommes, le féminin est également par des croyances : ne dit-on pas que, pour préserver leur énergies, les relations sexuelles sont interdites tant aux coqs qu’aux propriétaires avant le combat ?
Le Lamentin. Lieu de sociabilité masculine le pitt accueille pourtant quelques femmes. Il n’y a pas de règle en matière de présence féminine dans les gradins mais on constate que certains pitts accueillent davantage de femmes que d’autres.Phénomène démographique local ? Organisations et ambiancse moins « masculines » et donc potentiellement moins rédhibitoire pour les femmes dans les différents pitts ? L’opposition centre/périphérie qui régule la place des femmes dans l’activité ne suffit pas à expliquer la variabilité de leur présence dans les gradins d’un pitt à l’autre. Il est possible, à l’instar d’environnements professionnels (Bonnet et al., 2008), que chaque pitt développe une culture propre qui incite plus ou moins à une « naturelle » présence féminine.
Le Lamentin. Un assesseur s’occupe de la tâche qui consiste à reporter sur le tableau le poids des oiseaux. C’est lui qui va « marier », en fonction de leurs poids, les coqs appelés à se combattre.• André, J. (1985). Le Coq et la jarre. Le sexuel et le féminin dans les sociétés afro-caribéennes. L'Homme, vol. pp. 49-75.
• Bonnet, E., Cart, B., Charrier, P., Delsart, V., Pernod-Lemattre, M., Milly, B., Tondellier, M., Toutin, M.-H. et Verley, E. (2008). Etude de la féminisation dans les métiers à dominante technique à la SNCF. Lyon-Lille, Modys-Clersé, Institut des Métiers, septembre 2008.
• Dundes, A. (1994). Gallus as Phallus: A Psychoanalytic Cross-Cultural Consideration of the Cockfight as Fowl Play. Dundes, A., Dir., The Cockfight. A Casebook. Madison, University of Wisconsin Press; pp. 241-82.
• Leal, O. F. (1994). The Gaucho Cockfight in Porto Alegre, Brazil. Dundes, A., Dir., The Cockfight. A Casebook. Madison, University of Wisconsin Press; pp. 208-31.
• Tondellier, M. (À paraître). Ce jour où les coqs de combat perdirent leurs noms… L'actualisation des pratiques traditionnelles et le paradigme caché des sciences humaines et sociales aux Antilles.
• Wilson, P. (1969). "Reputation and Respectability: a Suggestion for Caribbean Ethnology". Man, vol. 4, n°1, pp. 37-53.
Le Lamentin. L’arbitre, treize amateurs et une amatrice.Refbacks
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Tondellier-André